La rentrée est habituellement une période difficile et celle de 2012 ne fait pas exception puisque rien ne nous est épargné, de la crise économique qui perdure aux tensions internationales qui s’aggravent, sur fond de perte des repères sociétaux.
On a pour l’instant assez peu parlé de la réforme de la médecine libérale qui est pourtant actuellement en cours de discussion entre le gouvernement, l’assurance-maladie, les syndicats médicaux et les représentants des mutuelles.
Il est vrai que le terrain est cependant préparé de longue date par des reportages fréquents dans les différents médias dans lesquels beaucoup d’efforts sont déployés pour pointer les “dérapages des dépassements d’honoraires” et stigmatiser l’ensemble d’une profession.
La réunion qui s’est tenue le 15 septembre dernier à la Maison de la Chimie à Paris, à l’initiative de l’UCDF (Union des Chirurgiens De France) a permis de faire le point sur les réelles données du problème.
Le projet présenté par le gouvernement est celui d’un contrat d’accès aux soins qui donnerait tous les pouvoirs aux caisses d’assurance-maladie pour contrôler, analyser et sanctionner les dépassements d’honoraires médicaux selon des règles dont l’arbitraire n’a d’égale que l’imprécision.
Ce qui est en jeu aujourd’hui est bel et bien la fin du secteur 2, dit à honoraires libres, institué il y a 30 ans pour pallier l’absence d’évolution des honoraires médicaux et surtout chirurgicaux. Est-il normal que les honoraires médicaux, tarifs opposables des médecins du secteur 1, n’aient ainsi augmenté que de 6 % depuis 1988, et que dans le même temps, les honoraires chirurgicaux aient été totalement gelés.
Il est facile de pointer du doigt les médecins libéraux du secteur 2 dont les dépassements d’honoraires sont passés en 20 ans de 23 % à 56 % du montant des actes en tarif opposable, si l’on omet de rappeler la stagnation de ces tarifs opposables, qui ne sont plus en phase avec la réalité économique de professionnels qui travaillent accessoirement pour gagner leur vie. L’évolution des honoraires médico-chirurgicaux n’est donc qu’un ajustement fait par les professionnels de santé pour conserver un pouvoir d’achat que les tarifs conventionnels ridiculement bas ne font que plomber. Le terme de dépassement, à forte charge péjorative, devrait du reste être abandonné au profit de celui de complément d’honoraires, qui permet de transformer des tarifs indécents en tarifs normaux.
Les réalités économiques de la médecine libérale sont pourtant bien différentes du discours ambiant, mais qui s’en soucie et qui connait les vrais chiffres sur lesquels les pouvoirs publics se gardent bien de communiquer ?
– Au cours des 10 dernières années, les honoraires pratiqués par les médecins libéraux n’ont augmenté globalement que de 12 %, alors que les dépenses hospitalières explosaient et que les frais de transports augmentaient de 35 %. La part des honoraires médicaux est ainsi en baisse dans le budget de la santé, puisque les autres postes ont augmenté plus fortement.
– Les arguments avancés sur les difficultés d’accès aux soins pour les plus démunis sont tout simplement en contradiction avec les faits. Même si on feint de l’ignorer, 40 % des actes faits par les praticiens du secteur 2 sont ainsi déjà faits en tarifs conventionnels. C’est par exemple le cas pour 50 % des prothèses de hanche et même 85 % des chirurgies d’appendicite. Notre système actuel comprend déjà 7 millions de Français bénéficiant de la CMU ou d’équivalents, patients pour lesquels aucun dépassement d’honoraires n’est autorisé et qui sont libres de consulter où bon leur semble.
– Le poids de la santé est extrêmement faible dans le budget des ménages avec un reste à charge de l’ordre de 10%, qui est le plus faible du monde ! Lorsqu’on compare la partie du budget des ménages consacrée aux compléments d’honoraires, le chiffre est réellement vertigineux puisqu’il est de 0,02 %. Sur la base d’un salaire moyen de 2350 € environ, il est vrai que cela représente quand même 6 euros par an, c’est à dire le prix d’un paquet de cigarettes !
– Le budget annuel des mutuelles en France est d’environ 42 milliards d’euros, dont 2,5 milliards sont consacrés au remboursement des honoraires médicaux, à mettre en balance avec les 8 milliards consacrés aux frais de fonctionnement et aux profits colossaux qui sont ainsi dégagés.
La réforme actuellement programmée par le gouvernement vise à mettre sous la tutelle de l’Assurance-Maladie l’ensemble de la médecine libérale, tutelle dont les conséquences seraient très graves pour l’ensemble du système de santé :
– Mort de la liberté tarifaire, qui est aussi pour les médecins, la seule façon de pouvoir réaliser des investissements coûteux, en particulier dans les spécialités les plus techniques dans lesquelles les évolutions très rapides conduisent à la nécessité d’acheter des nouveaux matériels, pour lesquels les médecins libéraux ne reçoivent aucune subvention.
– Pour les patients, réduction des options diagnostiques et thérapeutiques, et perte d’accès aux innovations, y compris et surtout pour les patients les plus précaires.
– Pour l’Assurance-Maladie, une aggravation certaine du déficit actuel en raison du changement de comportement des médecins du secteur 2, habituellement considérés comme “vertueux” car peu consommateurs d’actes, mais qui seraient appelés à multiplier les actes et les cotations.
– Pour les assurances complémentaires, une perte de raison d’être pour des millions de personnes.
– Pour les structures de soins privées, une réelle menace sur l’activité et la viabilité et donc des conséquences importantes en termes d’emplois.
La mobilisation des médecins libéraux est donc maximale pour défendre et améliorer un système certes imparfait actuellement, mais dont les réformes proposées aboutiraient à la mort de la médecine libérale en France. Celles des Internes et des Chefs de clinique des hôpitaux n’est pas moins grande, eux qui seront les médecins libéraux de demain et d’après-demain.
Une prochaine réunion de l’UCDF est d’ores et déjà programmée le 20 octobre prochain à la Maison de la Chimie, et la possibilité de recourir à l’interruption et à l’annulation de tous les soins médico-chirurgicaux non urgents dès le 12 novembre sera à l’ordre du jour si les négociations en cours n’aboutissent pas à des solutions acceptables pour la préservation de la médecine libérale.
Docteur Arié Danan. Paris, le 16 septembre 2012.
1-Complément d’honoraire est un terme tout aussi injuste.
Le médecin demande des honoraires pour son travail et la mise à disposition de son savoir, chèrement accumulé. Ces honoraires ont, depuis l’avènement de la SS, une part remboursée et une part non remboursée. Point. Ils sont déterminés avec tact et mesure, c’est à dire en fonction de ce qu’ils apportent aux patients, et selon l’effort financier que le patient peut fournir. Rien à voir avec un montant proportionnel du tarif SS, déterminé par un comptable bureaucrate à conviction politique carriériste.
2-Briser l’équilibre budgétaire d’une entreprise libérale a des effets sur l’économie. Un cabinet médical est une entreprise libérale à vocation sociale. Cela aura aussi des effets sur le bien être social des français (et autres ayants-droit sociaux). Les médecins devront obligatoirement s’adapter, malheureusement pas forcément dans l’intérêt de “l’assuré social” (ex: multiplication des actes, diminution du temps accordé au patient, incompétence choisie sur les actes déficitaires, démarche déterminée par la convention SS et non par l’idéal médical et scientifique, déconventionnement pur et simple).
3-Soit les français défendrons leur système de santé, soit ils auront les soins qu’ils méritent. Leurs enfants aussi. Ils payeront le prix des mesures actuelles sur la qualité et la quantité de leurs soins, comme d’autres pays paient actuellement.
4-Les médecins acquièrent un savoir faire qui demande du temps et un fort investissement. Ils produisent du concret. Cela sera toujours valorisable. A force de vouloir encadrer et maintenant stigmatiser indécemment une profession dévouée et valeureuse, l’effet sera l’inverse de celui présenté. La profession médicale échappera. L’accès aux soins et la qualité des soins vont devenir dramatiques. Vous avez encore cru les promesses de campagne? Voyez ce qu’il en est mois d’un an après les élections. Continuez de croire en la démagogie facile actuelle, vous mériterez ce qui arrivera et vous n’y échapperez pas. Votre réveil repentant, amère voire véhément sera inutile s’il tarde encore.
5-En quoi la part d’honoraire non remboursé pose problème? Elle n’est pas remboursée et donc, ne pèse pas sur les comptes de la sécurité sociale publique. Le citoyen n’y contribue pas contre son gré. Tous les patients ont un accès aux soins, quels que soient leurs possibilités financières et leur statut social. Seul le profit des mutuelles complémentaires peut être concerné. On comprend, dès lors, que leurs lobbies soient entendus par les décideurs qui, dès lors qu’ils ne sont pas réélus, peuvent toujours être nommés à la tête de ces entreprises florissantes, s’ils ont été accordants.
6-Heureusement, tout n’est pas sombre. Les professionnels de santé qui ont obtenu un “diplôme” médical en Europe exotique (quand ils n’ont pas le niveau pour l’obtenir en France) n’ont pas autant investi personnellement et financièrement dans leurs “études”. Le système de soin que l’on met en place ne leur pose donc aucun problème. Souhaitez leur la bienvenue, ils viennent pour vous soigner…(la conjugaison des verbes au présent n’est pas un hasard).
Nous sommes d’accord. La défense du système de santé n’est pas le domaine réservé des médecins libéraux. Elle est d’abord l’affaire des patients qui seront les premières victimes des réformes faites de façon dogmatique sans tenir compte de la complexité de l’économie de la Santé.
Je partage totalement ton analyse bien développée.
Malheureusement, nous ne sommes qu’une minorité de praticiens concernés au niveau national, minorité qui ne fera pleurer personne tant le battage médiatique si bien orchestré est ravageur.
Devons-nous baisser les bras pour autant ?
Sûrement pas !
Il est clair que le gouvernement actuel laisse manoeuvrer notre ministre de tutelle sans en rajouter pour autant. A Marisol Touraine, tout le travail de sape.
Par contre, lorsque les tensions deviendront trop vives, le gouvernement reprendra la main en tentant d’apaiser le jeu.
C’est pour cette raison que nous ne devons pas lâcher un pouce de terrain.
Dès maintenant.
Toute la problématique réside dans le “Comment ?”
Comment nous faire entendre ?
Comment expliquer la réalité des faits ?
Comment réunir et regrouper des praticiens indépendants, et par définition isolés ?
Mais comment également ne pas reconnaître que certains praticiens (une minorité) ont pratiqué le dépassement d’honoraires avec excès et sélection de leur patientèle, limitant par là même l’accès aux soins pour tous.
Ceux-cis sont fortement responsables de ce qui arrive aux autres médecins secteur II, mais ne seront pas pénalisés par une limitation des honoraires car leur patientèle leur permettra de se déconventionner et passer en secteur 3.
Ce seront tous les autres praticiens secteur 2 qui seront pénalisés.
La maîtrise de l’accès aux soins est un problème de santé public.
Refuser de le reconnaître serait suicidaire.
Le battage médiatique orchestré est conduit pour amener nos syndicats à la négociation un genou à terre…
Nos syndicats représentatifs doivent être fermes, jouer leur rôle de négociateur, mais aussi de fédérateur si nécéssaire pour nous inciter à manifester sous quelque forme que ce soit, et défendre cette médecine de qualité dont nous n’avons pas à rougir.
Très bonne analyse, pour le problème de l’accès aux soins et sans connaitre les chiffres avec précision, il me semble que le nombre de médecin hospitalier est très important, le nombre de secteur 1 ville également, le nombre de médecin secteur 2 est donc relativement faible en proportion. Le secteur 2 reste dépendant d’une formation particulière validante. Les honoraires sont très acceptables pour la plupart d’entre eux. La communication actuelle est ciblée et partisane.
Nous devons proposer l’amélioration du système : répartition du territoire, secteur 1 possible dans toutes les régions ect …. Nous devons aussi condamner les quelques brebis galeuses, male prix d’un déplacement d’un plombier (50 euros) avant devis, moi je veux bien faire les visites à domicile dans ses conditions !!!!!
Cet article est juste et intéressant. Je complèterai simplement en soulignant que la liberté tarifaire, dans le contexte de retrait de l’assurance maladie du financement des actes médicaux ambulatoires depuis 20 ans, est le moyen le plus efficace pour rendre accessible à tous des soins de qualité. En effet, la modulation des tarifs permet de faire supporter les coûts de l’innovation thérapeutique sur les plus aisés et de rendre accessible cette innovation aux patients précaires. Tout encadrement des tarifs mettra fin à cette logique et tout le monde sera perdant.
Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse particulièrement claire et bien documentée ,ainsi qu’avec les commentaire de nos confrères .
Je souhaite souligner plusieurs points :
Le manque d’attractivité de la médecine libérale , avec actuellement 1 jeune diplômé sur 10 qui s’installe .
Sur le plan économique , 10% des patients consomment 60 % des dépenses de santé .
Un patient ” dépense” 50% de toutes ses dépenses de santé lors de son dernier mois de vie .
La logique de la création d’un ticket modérateur sur les consultations , les médicaments et l’hospitalisation , (modération dont sont dispensé les bénéficiaires de la CMU) me semble contradictoire avec le battage médiatique contre les dépassements d’honoraires.
Je ne vois toujours pas comment il peut y avoir des dépassements d’honoraires dans un secteur appelé ” honoraires libres ”
Enfin je craint beaucoup que les politiques actuelles et futures n’utilisent les oppositions généralistes/spécialistes ,libéraux/hospitaliers ,secteur I/secteur II , afin de diviser pour mieux ” régner “.
Je nous souhaite beaucoup de courage à tous .
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Cela veut dire aussi que les cliniques appartenant à la Mutualité vont se débarrasser des chirurgiens secteur 1 car les chirurgiens secteur 2 seront plus rentable